Récit : Bachi Bouzouk à vue

Par Julien Irilli

2013, de retour en France depuis quelques jours et déjà la pluie et la grisaille qui caractérise si bien la haute Savoie automnale.

Et on a beau se dire que c’est un cycle naturel, quand on aime passer du temps à l’extérieur, ça mine un peu le moral. C’est donc logiquement en falaise de dry, celle de Quintal toute proche d’Annecy pour ne pas la nommer, que je me décide à passer mes après-midi. Transition délicate après les fissures Américaines, exit les 5 kilos de Camalots au baudrier, reprise en main des piolets et réadaptation rapide à la gestuelle toute en finesse du dry.
Quand je pense que je passe mon temps à expliquer aux néophytes que cette discipline est plus fine et technique qu’il n’y parait. Il suffit d’entendre les sons qui sortent involontairement de nos gorges sur certains mouvements pour comprendre que la finesse n’est pas l’atout majeur!

Après quelques séances en compagnie de Kevin Peyre, et une discussion avec Didier Betemps, l’ouvreur, je motive l’ami Kev a changer de crèmerie et à aller trainer nos crampons sur cette voie de 8 longueurs que l’on peut qualifier de mixte à dominante dry du fait du peu de glace présente en ce début de saison.

Didier nous confirme, après sa reconnaissance pédestre du weekend précédent, que la fine colonne de la 3eme longueur permet de connecter la zone de dévers qui suit. Bachibouzouk nous voilà!

Après coup, je me dis qu’une voie si longue (250m sur 8 longueurs), si proche de nos maisons (30min d’Annecy) et dans un cadre de moyenne montagne si beau! C’est incontournable! Je ne parle même pas de l’aspect technique et du cheminement ingénieux de cette voie qui se faufile tantôt en traversé sous des toits, tantôt droit dans des dévers ou le long de petites coulures, fines bandes de glace collée au rocher. Grand plaisir, merci l’ouvreur!
Nous sommes bien dans l’ère du mixte moderne, des mouvements parfois aléatoires, lames de piolets posés sur de petites réglettes naturelles avec pas ou peu de pieds, transferts de poids tout en finesse pour tester les appuis sans tout arracher le tout sur goujons de 12mm, voilà qui change la donne!

On se lâche donc! Kevin avale L1 en deux, gouttes d’eaux, mini colonne en glace et fissure naturelle à coincement, pour une dernière traversé qui mène au relai suspendu sous les toits. On coche tous les deux l’enchainement et on peut dire que l’échauffement est fini quand je débute la 2eme longueur, crux de la voie : une traversé ascendante de 30m, sous les surplombs avec peu de pieds et peu de glace.

45 min de lutte a délayer et à se creuser la tête pour imaginer le prochain mouvement… Génial! Ca coche a vue aussi, bien heureux d’avoir évité une remonté sur corde après un tir pendulaire !

L3 débute par la fameuse colonne en glace qui vient buter sur des toits. Kevin se contorsionne au-dessus de ma tête et fini par disparaitre de mon champs de vision, pendu à ses piolets, les pieds qui dessine des cercles dans l’air. C’est la longueur ‘plein gaz’ avec vue sur la mer. Enfin le lac.

Je le rejoins légèrement essoufflé et échaudé des avants bras, ça coche encore! Je repars dans L4, alternance de trous forés et des quelques prises naturelles, ça penche toujours au-delà de la verticale mais la difficulté provient plus du temps passé a chercher les trous pour les piolets. Grosse endurance obligatoire!
Après une courte 5eme longueur transitoire, Kevin a l’honneur d’aller se battre avec de belles touffes descellés par le non gel. C’est donc avec joie qu’il se remplit la capuche de terre et qu’il sort ses griffes pour clipper le relai sur une terrasse. J’enchaine avec un magnifique plaquage bien tactique pour les protections dans le haut et nous sortons dans un couloir de neige puis au sommet.

16h, deux gâteaux, une accolade chaleureuse et une redescente rapide en 15min à pieds, du grand luxe!

Je coche la voie à vue mais en réversible, les cotations allant jusqu’à D10 sont peut-être un poil sur estimés mais cela demande beaucoup de ténacité et de continuité pour déchiffrer certains passages. Encore une belle journée de partage avec Kevin et dame nature! Réconciliez avec la Haute Savoie finalement!

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