Raid O’Bivwak, une édition écourtée

L’écrin du massif du Vercors était riche de promesses : dans un espace naturel d’exception, les parcours tracés par l’équipe organisatrice de cette 32e édition du raid international O’Bivwak s’annonçaient somptueux et d’une grande richesse technique pour les parcours sportifs. Fidèle à sa nature populaire et conviviale, l’épreuve, lancée samedi 18 mai au cœur de Villard-de-Lans, comptabilisait près de 2 300 concurrents inscrits, avides d’en découdre avec ce défi sportif. Preuve que la destination de Villard-de-Lans, choisie pour cette 32ème édition jouissait d’une réputation « pure outdoor ». Discipline 100 % nature, le raid d’orientation est toutefois soumis aux caprices du ciel. Or cette édition 2013 aura subi de façon exceptionnelle de très mauvaises conditions météorologiques.

Ce qui amènera les organisateurs à évacuer le bivouac, dans la soirée du samedi, puis à écourter l’épreuve pour mettre en sécurité les participants. Une première dans l’histoire du Raid. Pour autant cette décision difficile à prendre n’aura pas terni l’enthousiasme des concurrents. Bien au contraire. La symbiose entre ces derniers et les bénévoles, soudés dans la difficulté, aura magnifié cette 32ème édition et en aura fait une édition d’exception ou les valeurs de solidarité, de réciprocité, de communion, de compréhension auront été élevées à un niveau jamais atteint dans le Raid. Lequel aura plus que jamais dévoilé sa nature profonde, loin des clichés de performance, de souffrances narcissiques et d’exploits de pacotille.

En tête du peloton des épreuves nature qui connaissent un essor fulgurant depuis plusieurs années, le Raid O’bivwak rencontre un succès constant, malgré une concurrence de plus en plus dense dans le registre de l’outdoor. En effet, l’événement répond aux attentes d’un public très diversifié : enfants et adultes, femmes et hommes, sportifs de haut vol et pratiquants occasionnels. Tous appréciant la convivialité, le challenge et l’aventure au Raid O’bivwak. Pour la famille Paillet, ce rendez-vous est d’ailleurs devenu un véritable pèlerinage dont les deux enfants sont friands. « Il s’agit de notre troisième raid tous ensemble », confiaient en souriant les parents. « Les enfants sont demandeurs. Cette année, ce n’est pas une galère : c’est plutôt une aventure ! ».

Pour d’autres comme Sébastien Begué et Emmanuel Granger, engagés sur le circuit B et vainqueurs de la première et unique étape, la destination avait prévalue dans leur choix de courir l’édition 2013. « Pour moi qui vient de Guadeloupe où j’ai travaillé plusieurs années, bien que ne connaissant pas le Vercors, j’en avais une image de territoire riche de sa nature sauvage et comme un spot particulièrement riche pour la Course d’Orientation. Ces deux paramètres ont été importants dans notre choix de nous inscrire ». Expliquait Sébastien dans le sas du départ.

Après un départ donné sous une pluie battante et sous des rafales de vent incessantes, samedi en milieu de journée, les concurrents ont évolué sous un ciel impitoyable. Alors que certains avaient renoncé à épingler leur dossard, préférant rester au chaud et au sec, la plupart des inscrits s’était élancée dans la bonne humeur malgré une météo digne d’un mois d’octobre. La remise des définitions effectuée sur la Colline des Bains, aux portes de Villard-de-Lans, confirmait que les conditions de course allaient être dantesques. Cartes et feuilles de définition s’envolant au vent, capes de pluies dressées au-dessus des têtes des concurrents comme autant d’oriflamme de détresse élancées vers le ciel pour l’implorer qu’il cesse ses tourments, équipes couchées à même le sol pour tenter de reporter les postes.

Mais cahin-caha la cohorte s’élançait vers les forêts encore plus sombres qu’au plus fort de la nuit. Puis peu à peu des équipes ruisselantes d’eau refluaient vers le centre village. A l’évidence O’bivwak connaissait les conditions les plus rudes de son existence. Mathieu Barthélémy, associé à Jean-Luc Chandezon sur le circuit A (seconds au terme de la première et unique étape) arrivé au bivouac où, en milieu d’après midi, contrairement à l’accoutumée, seules quelques tentes se dressaient, témoignait : « Sur les hauteurs de la station les conditions étaient exécrables, le grésil nous fouettait le visage, nous avancions courbés contre le vent, orienter dans ces conditions devenait difficile ». En fin de journée, tandis que de nombreux raiders avaient enfin planté leur tente au bivouac et s’efforçaient de se réchauffer, la pluie redoubla de violence.

Rassemblés en réunion de crise, les organisateurs qui avaient avec l’aide et le soutien constant de la commune de Villard-de-Lans anticipé et mis en place des moyens adaptés, et qui suivaient minute par minute l’évolution de la situation, décidaient alors en fin de journée d’évacuer le bivouac afin d’assurer la sécurité des concurrents. En trois heures, dans un calme étonnant, témoignage de la confiance des concurrents envers les organisateurs et de l’esprit qui irrigue ce Raid au plus profond de sa personnalité, ce furent pas moins de 600 personnes qui furent rapatriées sur des tennis couverts au cœur de Vilard-de-Lans. A 23 heures l’opération était bouclée et peu à peu la nuit s’organisait dans ce nouveau bivouac inédit en 32 éditions du Raid O’bivwak.

Dans la vaste salle couverte, l’ambiance était surréaliste. Le long d’un mur, des centaines de paires de chaussures alignées séchaient tandis que leurs propriétaires marchaient avec des sacs plastiques aux pieds ou s’enveloppaient dans leur duvet, en quête de chaleur. Les filets de séparation des cours de tennis étaient transformés en immenses séchoirs à vêtements. Et, au sol, des rangées de raiders, certains déjà prêts à dormir, d’autres en train d’enfiler un pantalon sec ou de se ravitailler. Céline et Fabienne, deux jeunes Stéphanoises novices en course d’orientation, gardaient le sourire tout en grignotant un repas improvisé, assises sur leur couverture de survie étalée à même le sol : « c’est notre première expérience en raid. Nous avons évolué sous une pluie incessante mais nous avons passé un bon moment. Chercher son chemin, c’est vraiment chouette… même s’il faut marcher dans la boue ! ».

Ici ou là, la grande majorité des concurrents interrogés se félicitaient de cette décision prise par les organisateurs et beaucoup d’entre eux encourageaient les bénévoles à tenir le choc malgré la déception palpable dans les regards, après un an de préparation. Morceaux choisis : « Vu le soulagement sur la tête de la plupart d’entre nous à l’annonce de cette évacuation, vous avez pris la bonne décision. Tout notre soutien à toute l’organisation ». Ou encore : « Merci de ce soucis pour nous, de notre côté nous imaginons l’état d’esprit résigné dans lequel les organisateurs doivent être. » Sébastien Begué rencontré quelques heures plus tôt dans le sas du départ témoignait lui aussi : « Malgré notre expérience Emmanuel et moi, votre décision a été un véritable soulagement. Arrivés au bivouac nous nous sommes pourtant restaurés plus copieusement que d’habitude. Malgré cela nous tremblions en permanence et nous appréhendions la nuit à venir ».

L’édition 2013 finalement écourtée.

Dans le même temps, les organisateurs réfléchissaient déjà au lendemain et exploraient les moyens de faire courir malgré tout, une seconde étape. Puis bien vite devant les difficultés techniques que cette décision impliquait, ils renonçaient. Une annonce qui fut elle aussi bien accueillie et comprise par les concurrents. Déjà Mathieu Barthélémy, engagé sur le circuit A et rencontré au bivouac, évoquait cette éventualité avec l’à propos de celui qui a l’expérience des conditions difficiles : « Je ne sais pas quelle décision vous allez prendre, mais si vous allez vers le repli, nous comprendrons votre décision Elle sera sage. Car il ne faut pas oublier que seulement 10 % des partants sont parfaitement aguerris pour faire face à des conditions extrêmes. » Même son de cloche chez Sébastien Begué : « Je suis organisateur de trail depuis longtemps et j’ai toujours en tête que 60 % des personnes qui composent le peloton sont là pour le plaisir et n’ont pas le vécu nécessaire pour faire face à des conditions au-dessus de la moyenne en terme de normalité ».

Au milieu des concurrents souvent émoussés par l’effort physique et par les conditions de course difficiles, Yoann Garde et Jean-Baptiste Bourrin, membres du Team Lafuma, coureurs expérimentés, bien qu’arborant une mine fraîche et resplendissante déclaraient eux aussi. « Nous avions anticipé le froid et la pluie en prenant beaucoup de vêtements de rechange pour le bivouac. Si l’épreuve avait été maintenue, cela allait être très difficile et cela se serait joué au mental. Dormir sous la tente dans de telles conditions n’aurait pas été idéal pour la récupération, surtout après la journée éprouvante du samedi. »

Après la disqualification du tandem constitué de Yoann Gard et de Jean-Baptiste Bourrin, deux orienteurs de haut niveau (pour avoir poinçonné un poste après avoir passé la ligne d’arrivée), ce sont deux belges qui remportent la première et unique étape de l’édition 2013. Agés respectivement de 31 ans et de 45 ans, Jean-François Krier et Stephan Vis ont tous deux été membres de l’équipe de Belgique de C.O. Venus en Vercors après l’avoir découvert l’an passé en touriste ils ont bien entendu regretté de n’avoir pas pu jouir des paysages fabuleux que les parcours, et notamment le A, permettaient d’admirer sur certains secteurs. Mais ils ne regretteront pas les instants « flottants »du bivouac où malgré la pluie, le froid, la fatigue, les concurrents se croisaient avec le sourire et s’encourageaient mutuellement dans la perspective de la nuit à venir. Stephan Vis déclarait après l’arrivée : « La magie du Raid est que ce type d’épreuve distille un bonheur indicible, parce qu’il s’exprime en vous sur la durée, contrairement à une course d’orientation classique. Les conditions difficiles ont sans doute accentué cette sensation de plénitude, même si en contrepoint c’était difficile pour tout le monde. Le raid c’est aussi la magie des contraires, qui à la fois s’affrontent et s’entretiennent l’un et l’autre dans un équilibre fragile. »

Photos : Cyril Crespeau

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