Entrevue : Philippe Ribière

Quelques questions à Philippe Ribière, fondateur du handigrimpe et membre de l’équipe de France handi escalade.
Photo : coll. Bernardo Gimenez
– Kairn : Parle nous de ce magnifique reportage paru au JT de TF1 fin 2013. Comment cela s’est fait ?
– Philippe : En fait un jour j’ai recu un email de Thierry Coiffier qui est journaliste dans la section sport pour TF1. Il me proposait de faire un sujet pour le journal de 20h a propos de mon parcours. En fait, je crois qu’il avait regardé quelques brêves des Championnats du Monde à Paris sur la meme chaine. Donc il voulait en savoir plus après quelques recherches sur le thème de l’escalade et le handicap. En tapant ses mots clefs sur internet, il a trouvé mon blog et etc. D’un côté, j’étais fier de cette proposition mais d’un autre je n’étais pas super chaud car je voulais en aucun cas qu’un téléspectateur se dise a la fin ‘ oh pauvre homme, c’est courageux ce qu’il fait’. J’ai toujours agi ainsi et je continuerai tant que les reportages liés au handicap seront patheux, baveux et pathetiques. Même si la cause est louable, le traitement n’est pas forcement toujours flatteur et bien sur, cela n’est que mon avis. Au niveau de TF1, je me suis plutot interrogé si je ne devais pas pour une fois mettre mes principes de côté et faire avancer en quelque sorte ma cause et qui va de soit avec celle des autres, C’est à dire que je n’ai jamais supporté etre considéré ou me considerer comme une personne handicapée. Même si en pratique, je le suis, je n’en suis pas forcement plus idiot que le commun des mortels. C’est une facon polie de ne pas mettre tout le monde dans le meme sac et en particulier pour ceux qui travaillent pour des sociétés avec lesquelles on n’a pas forcément les mêmes idées politiques et ou autres.

A la fin, si j’ai un message -même si je n’aime pas le terme – à faire passer pour nous tous…il semble un peu utopiste mais je dirai que si on arrêtait de regarder les problèmes chez son voisin alors que notre palier n’est pas plus clair ; on serait un peut moins jaloux, arrogants et enfermés dans nos conditions alors que dans d’autre pays, il existent des problèmes plus grâves que l’apparence.


copyright coll. FilmIt

– Kairn : Comment s’est déroulé l »après-diffusion’ ?
Attends ! Avant la diffusion, je fus invité par le Service des Sports de TF1 qui tenait à me rencontrer car ils avaient visionné le sujet avant la diffusion. Il l’ont trouvé interessant et original pour être présenté a 20h un dimanche soir. Surtout nous avons eu la faveur d’avoir 1mn30 de plus que les sujets standards. Donc…
Ensuite, le chef des sports a tenu à me faire rencontrer la présentatrice Claire Chazal et Harry Rozelmak. C’était sympa de rencontrer Claire car depuis petit, je la voyais tous les soirs dans mon salon. Et pour dire, elle est vraiment douce, calme et jolie face un petit bohémien comme moi.
Ensuite, nous avons les honneur de la presse avec une récompense du ‘Meilleur reportage sportif’ de l’année. Donc c’est cool!!
En revant un peu et en voyant des personnes qui m’ont abordé dans la rue et leur facon de me parler ; je dirai presque que le message est passé. Cela me touche et me fait penser que j’ai enfin une existence digne. La vie est bien plus simple que l’on ne croit. Il suffit parfois de parler…

– Kairn Quel est le message essentiel que tu tiens à véhiculer à travers ta démarche de grimpeur pro ?

En premier, je te dirai que je ne suis pas un grimpeur professionnel. J’ai certes des facilités avec les sponsors pour voyager et faire ce que je fais mais cela ne change rien à ma situation financière qui est de 700 euros grâce aux Allocations Adultes Handicapé. Donc non je ne suis pas ‘pro’. Ensuite, ma démarche est encore plus simple que le message. J’étais toujours mis un point d’honneur à ne pas etre pris pour un handicapé. Meme si mon costume physique me trahit, mon language reste le même que le votre. J’ai les mêmes sentiments que vous donc mon langage reste dans la simplicité. Si je n’ai pas envie d’être percu comme un handi alors je ne dois plus l’être. Donc ma demarche est de toucher les Hommes (handis et/ou pas) pour leur rappeler que la roue peut tourner en leur désavantage. Et que se moquer d’une personne à 2m de lui n’est pas forcement hyper intelligent et surtout elle est blessée. Ben c’est mon quotidien depuis 36 ans mais heureusement ma auto-théraphie a fait en sorte que j’en suis sorti un peu plus grand. L’escalade m’a apporté cela. Cette force de se battre dans ses voies ou ses blocs, il reste que tu te bouges les fesses ou pas pour forcer. C’est une question d’envie. Cela a été pareil avec mon engagement personnel sur la participation a la création du Paraclimbing. Au début, j’avais des revendications pour le handicap sans finalement sans trop savoir ce que voulait dire ce mot. Donc en acceptant mes défauts physiques, j’ai mis des mots dans mon mal-être et ensuite je me suis decoincé petit a petit. Donc voila, le message est presque de dire que si on a des rêves ; parfois c’est bien d’essayer au moins une fois de les realiser jusqu’au bout. Même si parfois ce sont des défaites, avec le temps elles deviennent des victoires.
Donc en resumé, c’est quand on tombe que l’on comprend qui on est et ce que nous avons.
Tous les jours et tous les voyages entrepris me permettent de comprendre qu’on est souvent des enfants gâtés. Et la chance de vivre ne se compte qu’en un doigt.

coll. Jimmy Aunet

– Kairn : Le handi-grimpe, où en est-on ?

Comme depuis toujours le Handi-Grimpe n’est qu’un support evènementiel pour permettre a des personnes handicapées d’essayer une pratique à risques comme l’escalade. Ce que je trouve remarquable depuis 10 ans est que finalement les grimpeurs ne se sentent pas trop concernés par l’idée d’un grâve accident qui pourrait leur arriver lors d’une ascension. En tout cas, c’est le ressenti que j’ai. Mais sinon, il existe depuis 10 ans entre son premier evènement à Brignon dans le Gard pendant 3 ans avec même une participation de Patrick Edlinger. Ensuite, il s’est délocalisé a Montigny-le-Bretonneux pendant 7 ans. J’ai toujours un oeil sur le concept des journées ‘Handi-Grimpe’ lors des ‘Semaines du Handicap’ organisées par la mairie en question mais malheureusement, je n’ai pas senti une envie de pousser un peu plus l’association Handi-Grimpe.

Récemment, j’ai pu voir le courage (peut etre) de Vanessa Francois à se rendre au Yosemite avec un fauteuil roulant. Ou l’apparition de mes camarades ‘paraclimbers’ qui se mettent petit à petit sur le devant de la scene. C’était mon voeu secret ! Et si je fus un ‘ambassadeur’ pour tous ceux qui dès aujourd’hui s’expriment comme j’ai pu le faire 15 ans en arrière. J’avoue volontiers mon égo blesse lorsque sur les premières compétitions handi mon nom n’était pas mis en valeur. Mais au fait pourquoi? Je voulais etre sûr que tout le monde sache que j’ai travaillé 13 ans de ma vie pour pousser les fédérations internationales à créer la catégorie ‘Paraclimbing’.

coll. Andrei Mosiloc
– Kairn : Comment est venue l’idée de faire ton film Wild One ?

Cela s’est fait de manière inattendue lorsque j’étais en Slovénie lors de mon Evolution Tour en 2009. J’avais rencontré Jure Breceljnik lors d’un diner et il m’avait a l’époque demandé s’il pouvait faire un film avec moi. Au départ, je ne l’ai pas cru comme ceux qui s’étaient déjà présentés a moi de la sorte et que rien n’avait abouti. Donc, les mots ne sont que des mots à partir du moment où ils ne sont pas suivi d’actes. Mais 6 mois plus tard et tout en gardant le contact avec moi, il apparut un jour en France chez moi dans le Sud lorsque j’y habitais encore. Il m’a montré ‘patte blanche’ avec un lette formulant l’aide financiere de la Radio Televison Slovène pour la réalisation du film ‘WILD ONE’. Et voilà !
Ensuite ce sont des interrogations presque minitieuses et précises sur les sujets que nous voulions aborder comme celui du handicap, de l’abandon, de l’escalade qui m’a construit en Homme, de l’amour, etc. En fait, d’avoir déjà presenté le film dans quelques pays me rend un peu distant de la situation dans laquelle je suis par rapport à ceux qui sont venus le voir. Quand je vois les spectateurs qui me regardent avec de l’attention et qui se demandent comment un petit bonhomme qui est parti avec rien peut devenir un grimpeur quasi professionnel qui grimpe tous les jours dans des endroits fabuleux à travers la planète. Je crois que le film WILD ONE est un film qui touche tout le monde par sa sensibilité. C’est un film personnel ou je me suis engagé à devoiler des choses privées et qui normalement doivent le rester. Je crois que ce film m’a fait du bien pour mieux m’épanouir et effacer des vieux démons, des vieux reflexes de croire que les gens me regardent parce que je suis handicapé. J’étais fâché donc je ne pouvais pas avancer correctement. Donc ce film a tourné une grande page de mon histoire personnelle.

– Kairn : L’escalade handi se développe et se structure de plus en plus, avec de plus en plus d’évènements et de compétitions. Quel regard portes-tu sur cela ?

C’est cool de voir son rêve realisé depuis 3 ans maintenant avec ma première participation aux 1ers Championnats du Monde Paraclimbing a Arco en 2011 ou j’obtiens une médaille de bronze. Ensuite,depuis 2012, la FFME a mis en place une équipe de France menée par Sebastien Gnecchi, le sélectionneur. Il a mené une equipe de 12 grimpeurs qui sont allés au devant de leurs responsabilités en portant le maillot et essayer de remporter des médailles sur chaque étape. Je pense que c’est un devoir de s’entrainer pour envisager ramener le trophée à la maison. Ce qui implique des entrainements poussés pour chacun de nous. Et crois moi que les autres nations ne sont pas là pour la figuration. Je m’en suis bien rendu compte en 2012 à Bercy ou je revenais de Rocklands comme un touriste. Bien fait pour moi car je n’ai pas fait mes finales et avec un gros regret qui m’a presque fait penser arrêter l’escalade définitivement. C’était dommage mais nécessaire pour reprendre du poil de la bête.
Ce que je raconte personnellement tient pour tous mes camarades qui doivent grimper pour le ticket des finales avec en ligne de mire : une médaille.
Les médailles ont été rapportées particulierement par Mathieu Besnard qui fait le grand chelem des coupes ; donc il gagne. Il y a aussi notre machine, Nicolas Moineau qui gagne les Championnats d’Europe à Chamonix. Chez les filles, Orianne Moreno est un peu une teigneuse et une perfectionniste dans sa pratique de la compétition qui pourra lui apporter du succès plus tard quand elle sera vraiment détachée des performances de sa rivale Fran Brown. Roxane Hellli, qui est mal-voyante, a bien ramené des médailles l’an passé. Bien sur je ne peux pas detailler toutes les personnalités de l’équipe mais cela montre bien que nous voulons gagner. Et gagner passe par les défaites.

Sans transition, nous avons juste un petit détail -qui est grand au final – est la séparation des catégories. Par exemple, je suis un des cas les plus ‘lourds’ dans le handicap. Nous avions en 2011, des coefficients pour essayer de mettre équitableblement tout les athlètes déficients physiques sur le meme pied d’égalité. Sauf que non ! Par exemple, en 2012, Mathieu Besnard n’a pas gagné Bercy car le système des coefficients a joué en sa défaveur ou en bien pour le vainqueur Mankandan Kumar qui est sans doute devenu le premier champion du Monde indien. Et pour finir le troisième sur le podium a grimpé presque que 10 mètres dans ses deux voies de qualification sans avoir le niveau et il grille tout le monde à l’arrivée. Même si j’ai du grimper les 3/4 des deux voies de qualifs, cela ne m’a pas fait rentrer en finale, aussi, à cause des coefficients.
Donc en 2013, on a supprimé les coefficients pour le classement des finales mais surtout pour classifier chaque athlète dans sa catégorie. Sauf que le problème n’est toujours pas résolu puisque les médecins calculent que la mobilité des membres. Je pensais que cela m’handicaperai encore plus car je n’ai pas de force dans les bras et jes avant-bras plus courts que tous mes camarades. Donc au final, je pourrai presque toujours m’entrainer sans ramener des médailles. Mais à Chamonix, j’obtiens une médaille de bronze et je me prouve que c’est possible.
Mais au final, il faut bien comprendre que tant qu’il n’y a pas assez de paraclimbeurs, les ‘injustices’ seront toujours présentes. A la fin, je crois que c’est une histoire de niveau. Si la moyenne de ma catégorie est de 6c/7a en finale ; alors je dois m’entrainer pour faire du 7a – voir plus – pour gagner. C’est aussi simple que cela.
Ensuite, nous aimerions avec la FFME rassembler plus de grimpeurs handis pour faire des Championnats de France Handi mais pas assez de clients à la fin. Peut être par timidité ou autre, les grimpeurs handis sont encore bien timides à se manifester. C’était aussi une démarche de la part de mon évènement Handi-Grimpe que de pouvoir recenser les grimpeurs handis sans que ces même personnes ne se signalent. Ok ! Tout le monde ne veut pas forcément faire de la competition. Souvent les apparences sont trompeuses. Et je me suis aussi fait avoir dans ce jeu puisque je croyais faire qu’une année de compétition et stopper. Alors que maintenant je m’entraine 5 fois par semaine à raison de 3 heures d’entrainement intensif à faire parfois vomir. Donc il me semble que la competition nous a tous apporté un peu cette notion d’existence dans nos corps mal en point et peut être une existence socialement. Et ce n’est pas rien. Tous les membres de l’EDF Handi ont un travail et une famille donc cela prouve que le sport est encore un facteur d’intégration. Quoiqu’on en dise.

Pour finir, l’année 2014 sera beaucoup plus intense au niveau sportif. En effet, les budgets ont été revus à la baisse pour les EDF donc au final, tu dois te battre pour gagner ta place. Et c’est le jeu des compétitions comme celui du monde du travail. Donc à la fin, je suis sûr de voir encore plus de paraclimbeurs pour les prochaines Coupes du Monde. Et ca c’est cool et c’était mon rêve d’accomplir cela !

– Kairn : Quels sont tes projets pour 2014 ?

J’ai choisi cette année de lever le pied sur les voyages car justement je veux m’investir dans les compétitions et espérer faire une place aux Championnnats du Monde en Espagne. J’ai quand même cette fibre de voyageur mais mon corps ne supporte plus comme avant le froid et le non-confort. Je t’avouerai que j’aimerais refaire un 7a bloc mais pour cela il faut trouver le bon.

Laisser un commentaire

4 × un =